Etre séoulite au temps du Covid

Janvier 2021. Les aéroports sont fermés, la Corée demeure inaccessible aux voyages pour encore plusieurs semaines, peut-être des mois. Si la situation à Séoul est bien différente de chez nous, c’est aussi grâce à des mesures sanitaires drastiques, hautement contraignantes pour les séoulites. On a donc demandé à des “Millennials” coréens.nnes et expats comment ils fuient ce stress.

Hiju, Jiyoon, Jonggook, Romain, Jinju, Julien…voici six témoignages courts, loin des foules, en contrechamp à notre quotidien, pour rêver, préparer un voyage -dans un futur peut-être pas si lointain. Nous ne sommes pas les seuls à rêver à l’après.


Je rêve des parcs ensoleillés, allongée sur mon tapis de yoga, avec un bouquin de poésie.
— Hee-ju, 27 ans, autrice pour The Beer Post
Seoul by night

“Je vis dans un quartier à taille humaine, Eunpyeong-gu, situé entre les collines et qui a un cours d’eau, mais pourtant bien dans Séoul. On est très, très loin des grands ensembles urbains ; au contraire, c’est un quartier idéal pour faire des marches quotidiennes. Mon appartement est au pied du Mont Bukhansan, qui reste mon lieu de balade préféré, quand j’ai une matinée de libre*.  

J’ai la chance d’avoir une baie vitrée sur toute sa hauteur. Si j’ai du temps, je me pose sur mon tapis de yoga, face à la nature, avec mes cigarettes et des bières artisanales. J’évite soigneusement les habituelles Cass ou Hite. Et je reste là à méditer, réfléchir.

Si je le pouvais, je me transporterais dans un parc, mais ils ont été noirs de monde jusqu’à l’automne, et maintenant, il fait trop froid. J’y amènerais mon tapis de yoga et un bon recueil de poésie, qui est une forme littéraire assez présente en Corée chez les gens de mon âge.”

*Le port du masque est obligatoire en Corée, y compris pour les randonnées pédestres.

Pour en savoir plus sur les bières en Corée (en coréen): www.beerpost.kr


J’ai envie d’être à Jeju en ce moment, loin de tout.
— Ji-yoon, 38 ans, Consultante dans une entreprise internationale.
Jeju

“Je travaille légèrement en dehors de Séoul et en temps normal, je n’ai qu’une envie, c’est d’y aller le week-end. Mais là, la perspective des foules du samedi soir dans Itaewon me stresse tellement que je suis un peu obligée de rester chez moi. Mon idéal, ce serait de rentrer, même pour quelques jours, à Jeju, dont je suis originaire, et de voir ma mère et mes sœurs. J’ai envie d’être sur mon île en ce moment, loin de tout. Mais les Coréens y vont massivement, donc j’essaie d’être raisonnable et de ne pas prendre de risque.

Glamping

Ma priorité, c’est de rester calme et concentrée. J’ai dû arrêter la natation et ça a été très dur. Du coup, je compense avec des leçons particulières de pilates. C’est un sport  qui est vraiment devenu très populaire chez nous ces dernières années, surtout chez les filles. Il y a des tonnes de tutoriels et vidéos pour apprendre. Ça me permet de me rééquilibrer et de garder un peu de sérénité au milieu de tout ça

Cet automne, je suis pas mal partie camper avec des amis. C’était déjà très populaire avant, mais parfois j’ai l’impression qu’il ne font que cela de leur week-end ! Les campings près de Séoul sont très confortables et tout équipés, et on peut louer ce qu’on a pas. C’est presque du glamping, en fait !”


Je fais du sport jusqu’à tomber de sommeil.
— Jinju, 28 ans, en master ingénierie du sport
Pilates

“En journée, je suis constamment entre chez moi et la fac, depuis que j’ai repris mes études. Et mes soirs, je les passe à la salle de sport, avec le masque, en permanence. En ce moment, je fais du sport jusque très tard. Quand je rentre, c’est pour dormir.

Quand je suis chez moi aussi, je m’entraine intensément: typiquement, 1h30 de yoga ashtanga (une forme de yoga particulièrement physique), je me relaxe sous ma douche et puis je lis, avec un bâtonnet d’encens. Poésie, roman, développement personnel, nutrition, sport.... je lis tout ce qui me tombe sous la main.

En ce moment, le plus relaxant, c’est de rester chez soi. Dehors, on reste limité par le masque, et comme je suis vegan, c’est un challenge supplémentaire de se trouver un petit café, avec un minimum de calme.”


Je me suis découvert une nouvelle passion: la cuisine !
— Jong-gook, 32 ans, ingénieur
Cooking

“Contrairement à beaucoup de personnes, la pandémie ne s’est pas traduite par une baisse d’activité dans ma boîte, et j’en suis reconnaissant, même si les heures supp’ et journées à rallonge se font sentir sur les organismes. En semaine, je joue en ligne à League of Legends ou Dungeon Fighter Online avec des amis, c’est mon meilleur déstressant.

Par contre, le weekend, j’ai appris à diversifier un peu plus mes activités. Avant la pandémie, j’allais beaucoup au cinéma avec ma femme. Mais nous n’y allons plus trop, à cause du virus, mais surtout parce que l’offre de films s’est appauvrie. Je me suis donc découvert une nouvelle passion: la cuisine !

J’ai grandi dans une famille typique coréenne où on disait aux garçons que mettre les pieds dans la cuisine ferait tomber leur “gochu” (piment, en coréen, NLDR: synonyme de l’attribut masculin). Donc à part griller la viande dans les restaurants de barbecue, cuisiner m’était complètement étranger. 

닭칼국수.jpg

Mais grâce à la médiatisation de chefs coréens et à YouTube, la cuisine est devenue très accessible, pour tout le monde. Je scrolle des vidéos de recettes au hasard durant mes trajets en métro, au travail lors de mes pauses ou chez moi, cela me fait oublier le stress du travail. Je suis particulièrement les chaînes 백종원의 요리비책 (Paik’s Cuisine), un célèbre chef coréen qui compte 4,5+ millions d’abonnés sur YouTube et 고기남자 (MeatMan). Je cuisine donc surtout coréen (porc suyu 돼지 수육, dalkgalguksu 닭칼국수, dalkdoritang 닭도리탕…) et parfois occidental (pâtes carbonara, pâtes aux coquillages…), en compagnie de ma femme qui apprécie beaucoup plus je passe des heures en cuisine plutôt que sur l’ordinateur à jouer ou à lire des webtoons!”


Avec ma femme et ma fille, nous nous créons de petites capsules de bonheur.
— Julien, 39 ans, entrepreneur
Ganghwado Coffee

“Je suis en Corée depuis deux ans, et je travaille dans les domaines de la cybersécurité et de l’impact social. Cela veut dire que je suis tout le temps pris par le travail, et que j’assume une très grande quantité de stress. Pour pouvoir maintenir mon niveau d’activité pendant le Covid, je dois même redoubler d’efforts. Pendant le confinement, j’ai même écrit un livre de témoignages de professionnels en Corée à l’attention de ceux qui veulent y construire un projet professionnel. 

Du coup, avec ma femme et ma fille, nous nous créons des petites capsules de bonheur, et de découvertes, comme ce week-end de septembre passé sur l’île de Ganghwa, près d’Incheon, une ancienne capitale du textile. Le musée du textile est réparti sur les sites des anciens manufacturiers de l’île, et dans des hanoks, où l’on se balade pour découvrir les gestes et les outils de production de textile jusque dans les années 70. Le complexe abrite le Joyang Textile Cafe, installé dans une ancienne manufacture, très beau et très industriel. 

Children Hospital

Une des autres petites perles de cette période étrange s’est déroulée, ironiquement, dans un hôpital. C’est un lieu très moderne où tout est prévu pour le bien-être des patients, et de ceux qui leur rendent visite et qui abrite notamment un kid’s cafe, comme on en trouve par ailleurs dans Séoul. C’était un choc de voir cela au beau milieu de l’hôpital : voitures électriques, piscine à balles, jeux de tirs à distance... ma fille ne voulait pas partir. Ça nous a fait tellement de bien de se sentir accueillis comme cela dans un tel lieu.

Retrouver les entreprises de Julien à Kairos (sécurité informatique) et KP Korea Professional (réseau de recherche d’emplois en Corée).


J’aime prendre mon temps, regarder les arbres fleurir, changer de couleur ou le soleil se coucher sur les crêtes.
— Romain, 34 ans, photographe
© Romain John

© Romain John

“La crise du Covid-19 m’a affecté dans mon activité de photographie d'intérieur. Depuis avril, je n’ai fait qu’une poignée de shootings, car le tourisme a beaucoup souffert. Par contre, je me suis retrouvé avec trois jours libres par semaine et cela m’a déstressé considérablement. 

Mais c’est d’un point de vue personnel que la pandémie m’a fait le plus de bien. J’adore la randonnée, et en général, j’aime les choses lentes, qui prennent le temps d’éclore et de se développer.

© Romain John

C’est donc dans la montagne que j’ai passé beaucoup de mon temps libre, en particulier à Gwanaksan (관악산) qui est juste derrière chez moi, Samseongsan (삼성산) qui est à 30min en voiture, et enfin à Bukhansan (북한산) qui reste ma montagne préférée, avec ses pics grandioses et sa multitude de chemins, tous avec leur petits secrets. J’aime prendre mon temps, regarder les arbres fleurir, changer de couleur ou le soleil se coucher sur les crêtes. La vie en ville ici est bien trop stressante, bruyante et rapide, en montagne rien de tout ça, juste des vues, le bruit du vent, et aussi un effort physique qui nettoie les pensées.  

Un petit mot pour celles et ceux qui voudraient visiter la Corée, et Séoul: visitez les palais et autres sites touristiques, bien sûr, mais réservez-vous un jour ou deux pour voir la nature locale.

La vraie Corée est faite de granit et d’écorce, pas de ciment et d’acier. Vous ne le regretterez pas.”

Retrouvez les photos de Romain sur son site: https://www.romainphoto.com - Inside / Outside


Claire Solery

Claire Solery est expert en pop culture coréenne depuis 10 ans. Elle a contribué à de nombreuses publications françaises, notamment Slate, Le Point Pop ou France TV Info. Elle est du matin, mais tout sauf calme.

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