Le jour avant la Lumière.

Le 1er Mars est un jour de commémoration pour les Coréens. Celui du Mouvement de l’indépendance (il est surnommé Sam-il-jeol / 삼일절).

Dans un pays qui se remet encore des traumatismes de son histoire contemporaine, explication à travers la vie d’une jeune femme, de ce jour particulier pour la péninsule coréenne qui unit paradoxalement le Nord et le Sud contre les démons d’un passé tumultueux.l’

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Le 1er mars 1919

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En ce froid matin du 1er Mars 1919, Yu Gwan-sun (originalement nommée Ryu Gwan-soon) presse son pas. Elle est habillée dans plusieurs couches de vêtements amples qui cachent son hanbok, le vêtement traditionnel coréen. Elle se dépêche discrètement, pour ne pas alerter la police japonaise qui veille à certains carrefours et ne pas éveiller les soupcons de nombreux délateurs qui rodent dans la ville.

Elle est rapidement rejointe par quatre de ses camarades de classe, étudiantes comme Gwan-sun à l’école de Ehwa (qui deviendra l’université des femmes de Ehwa). Leur destination: le restaurant Taehwagwan (dont le site est aujourd’hui dans une des ruelles de Insadong).

Là-bas, elles doivent retrouver d’autres Coréens et Coréennes pour déclarer l’indépendance de la Corée.

Les origines

Car depuis 1910, la Corée est sous la férule du Japon suite au traité injuste de Gwanghwa, qui conclut les 2 autres traités (1904 et 1907) imposés au Royaume de Joseon par le Japon. Ce dernier mouvement par le Japon impérial annexa définitivement la Corée et n’a conservé l’état coréen que pour le remplacer petit à petit par une administration purement pro-japonaise.

Le royaume de Joseon et la monarchie du Chrysanthème sont en conflit depuis plusieurs siècles. Le Japon lorgne vers la Corée comme porte d’accès au continent depuis le XIII~XIVe siècle, et la Corée ne se montre pas très fiable dans ses rapports diplomatiques avec le Japon en trichant régulièrement avec sa grande voisine, la Chine.

Les rapports sont donc tendus, avec plusieurs invasions durant les siècles passés, et en ce début de XXe siècle, la monarchie de Joseon faiblit (corruption, népotisme, mais aussi affaiblissement de la santé de la famille royale par consanguinité, phénomène que les monarchies européennes ont connu également…). Le Japon a donc décidé de bouger et de prendre les choses en main pour les tourner à son avantage et pouvoir développer son expansion, pensée sous l’Ere Meiji.

La marche

Gwang-sun va donc protester pour rappeler que la Corée est un pays indépendant et que les répressions politique, économique mais aussi culturelle ne peuvent plus durer.

Le catalyseur est la mort soudaine de l’Empereur Gojong le 21 janvier 1919, dont beaucoup soupçonnent qu’elle a été “hâtée” par les agents japonais pour supprimer définitivement la dernière figure qui s’opposait à leur annexion (plusieurs tentatives d’assassinat à son encontre viennent renforcer les forts soupçons, bien qu’ il n’y ait jamais eu de preuve tangible qu’il soit mort de causes non naturelles. Sa femme, l’Impératrice Myeongsong a été assassinée par les troupes japonaises en 1895 alors qu’elle poussait l’Empereur Gojong à rechercher de l’aide auprès de la Chine et de la Russie).

Le mouvement de protestation parti du restaurant va se propager en quelques jours à l’ensemble de la ville mais aussi dans d’autres provinces. Des milliers de personnes descendent de concert dans les rues et scandent “독립 만세 / Dongnip mansae / l’indépendance pour 10 000 ans!“.

Le 5 Mars, Gwan-sun et ses amies rejoignent une manifestation ayant lieu au marché Namdaemun. Elle y est arrêtée mais des missionnaires de Ewha (fondée par des religieux protestants américains) négocient sa libération. Elle rentre dans sa ville natale, Cheonan, avec sous le manteau, un exemplaire de la déclaration d’indépendance (publication interdite par l’administration coloniale japonaise).

Elle va passer les jours suivants à aller de village en village pour lire la Déclaration aux habitants et les exhorter à se rebeller contre l’occupant. Elle organise une marche, le 1er avril, à laquelle près de 3000 personnes vont se joindre.

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La réaction des Japonais est immédiate et brutale. Les forces de sécurité de l’occupant ouvrent immédiatement le feu sur les manifestants. Elles chargent plusieurs fois la foule à la matraque puis à cheval et au sabre.

A la fin de la journée, près de 20 personnes sont mortes dont les parents de Gwan-sun, et des dizaines sont blessées. Ils sont parmi les 7000 morts du mouvement d’indépendance officiellement recensés.

La police secrète japonaise, la Kempeitai, part immédiatement à la chasse des leaders. Elle va retrouver très rapidement les “33 premiers”, ceux du restaurant Taehwagwan, les grands intellectuels coréens qui ont rédigé la déclaration d’indépendance.

Pour Gwan-sun, s’ensuit une longue période d’emprisonnement à la prison de Seodaemun, où tortures alternent avec interrogatoires et viols. Elle refuse de baisser pavillon, et continue d’exhorter les autres prisonniers et prisonnières à résister.

Le 1er mars 1920, elle réussit à organiser une rébellion à l’intérieur de la prison, pour célébrer la Déclaration d’Indépendance.
On la transfère dans une cellule “hyper-max”: sous terre, sans fenêtre, sans aération, et sans paillasse.

Le 28 septembre 1920, on la “libère” mais elle meurt avant de sortir, suite aux traitements infligés pendant sa détention.

Ses derniers mots écrits, sur un morceau de papier retrouvé plus tard par une co-détenue, seront: “Même si mes ongles m’ont été arrachés, que mon nez et mes oreilles ont été découpés, et que mes jambes et mes bras sont écrasés, cette douleur physique n’égale pas la douleur de perdre ma nation. Mon seul regret est de ne pas pouvoir faire plus que donner ma vie pour mon pays”.

Elle avait 17 ans.

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Epilogue

Contrairement à ce que l’on peut penser, et malgré la très grande participation des Coréens au mouvement (on estime que une personne sur six en Corée en 1919 a participé directement à une ou plusieurs marches), l’indépendance du pays ne viendra pas immédiatement.

Il faudra attendre le 15 août 1945 et la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour que la péninsule coréenne soit libérée définitivement du joug colonial nippon… pour tomber dans la séparation idéologique, la Guerre Froide et la guerre de Corée, 8 ans après.

Encore aujourd’hui, le mouvement est célébré au Sud comme au Nord. C’est l’élément fondateur du nationalisme moderne des Coréens, et reste un sujet de crispation avec le voisin japonais.

Yu Gwan-sun est devenue une égérie du patriotisme mais aussi du féminisme coréen: non-mariée, étudiante brillante, protestante méthodiste (chose rare à l’époque), et ayant su résister pendant plus d’un an aux mauvais traitements de ses geôliers, elle incarne l’esprit “Ehwa” et de la femme moderne coréenne en devenir.


Pour aller plus loin

On visite:

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Le parc Tapgol dans Seoul, où fut prononcé pour la première fois et en public, la Déclaration d’Indépendance.

Il est facile d’accès, son entrée est gratuite et il est ouvert de 09h00 à 18h00 tous les jours.

S’y rendre: Station Jongno-3 (sam)-ga, sortie 1. Avancez tout droit sur 250m, le parc est sur votre droite.

 

La prison de Seodaemun et le porte de l’Indépendance.

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Lieu d’emprisonnement des prisonniers politiques sous l’occupation japonaise, la prison est paradoxalement à proximité de la porte de l’Indépendance. Le bâtiment devait être détruit mais a finalement été conservé et restauré afin de témoigner du passé.

Une visite particulièrement poignante dans un lieu chargé d’émotions et d’Histoire (et d’histoires), si vous avez le cœur bien accroché.

Déconseillé aux personnes claustrophobes, aux enfants et aux personnes sensibles.

S’y rendre: Station Dongnimmun, sorties 4 et 5.

 
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“Dilkusha”, la maison de Albert W.Taylor, le journalisme américain qui a été le premier à écrire sur le mouvement d’Indépendance pour le public international et a contribué à faire connaitre les aspirations du peuple coréen sous la domination japonaise.

Elle a été restaurée et ouvre ses portes à partir d’aujourd’hui, 1er mars 2021.

Son accès est gratuit, et elle est ouverte du mardi au dimanche de 09h00 à 18h00. Mais vous devez obligatoirement réserver pour pouvoir la visiter car les visites se font uniquement avec un guide.

S’y rendre: Station Dongnimmun, sortie 1. Avancez tout droit jusqu’au croisement, prenez sur votre gauche et avancez sur 200m. Prenez la première à gauche avant l’église, la maison est dans une des ruelles derrière.

 

Le Hall de l’Indépendance de Cheonan.

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Ouvert en 1987, le Hall est une construction massive qui occupe près de 23 hectares. Composé de plusieurs parties, le Hall est largement dominé par sa statue “la Tour du peuple” qui fait 52 mètres de haut et est localisée sur la Taeguk Plaza.

Elle fait face au Grand Hall de la Nation, un autre bâtiment massif de 15 terrains de football et d’une hauteur de 15 étages.

Enfin, en plus de ses sept pavillons géants, de son cinema 4D, le “Hall” (une appellation erronée vue la taille du complexe) comporte également une copie de la plus ancienne cloche de bronze de la péninsule, originaire du temple de Sangwonsa dans le massif d’Odaesan, appelée “Cloche de l’Unification.

Le Hall est ouvert de 09h30 à 18h00 (en été). Son accès est gratuit. Et la majorité des présentations comporte des traductions en anglais.

S’y rendre: Prenez le métro ligne 1 jusqu’à la station de Cheonan. Prenez la sortie 1 et montez dans le bus 383 ou 400. Il vous laissera devant le Hall.
Le trajet total prend environ 2h30 l’aller.
95, Sambang-ro, Dongnam-gu, Cheonan-si, Chungcheongnam-do


On regarde:

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Resistance (2019): Film indépendant sorti avec un très petit budget (moins de 100 000 euros), il est un succès immédiat et fait près de 600,000 entrées lors de sa sortie. Il retrace la vie de Yu Gwan-sun (incarnée par Go A-yung, également actrice dans Le Transperceneige et The Host ), et notamment sa dernière année passée en détention.

Un huis-clos oppressant retranscrivant bien ce que les prisonnières coréennes ont subi à la prison de Seodaemun et partout à travers le pays.

A retrouver sur Netflix.


Caroline L.

Française mariée a un Coréen, Caroline reside depuis plusieurs années en Corée.

Elle a fait ses etudes en France et en Asie, avant de s’orienter vers une carrière professionnelle vers la péninsule coréenne.

Elle est contributrice régulière car son quotidien et son sens aigu de l’analyse, lui permettent de lever des rideaux sur la Corée derriere le miroir et de décrypter les éléments de culture de la Corée et de ses habitant(e)s.

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