Au coeur d’un Jesa

Française installée en Corée depuis quelques années déjà et bien intégrée au sein de ma belle-famille coréenne, j'ai l'occasion d'assister et même de participer à une expérience très particulière, qui rythme la vie de nombreuses familles coréennes : le Jesa, commémoration des morts par les membres de leur famille. Le Jesa est une cérémonie codifiée et minutieuse, moment de rassemblement où les esprits et les vivants se côtoient brièvement. Je vous amène à la découverte d'un Jesa contemporain.


 Le Jesa, commémoration des ancêtres

Trois fois par an, c’est le nombre de fois par an où nous nous retrouvons en famille pour commémorer les générations précédentes : lors de Seollal, le Nouvel An lunaire, lors de Chuseok, la fête des récoltes, et le jour de l’anniversaire du décès de mon beau-père. Imaginez une fête aussi importante que Noël, sans décorations, sans chants, et sans cadeaux, mais faite de rites honorant les ancêtres. Cette cérémonie, héritée des traditions confucianistes, prend le nom de Jesa (제사) en coréen. Elle obéit à un ensemble de règles originellement très strictes qui se sont progressivement assouplies, sauf peut-être au sein des grands clans historiques, où l'événement demeure très codifié. Chaque famille a ainsi développé ses propres traditions au fil du temps.

Calendrier lunaire vs. Calendrier solaire

Les fêtes traditionnelles sont célébrées selon le calendrier lunaire et coïncident avec de rares et précieux jours de congés. A cette occasion, les embouteillages sur les routes sont sans fin, et l'attente interminable pour obtenir un billet de KTX, le TGV coréen, est rarement couronnée de succès. 

Si Seollal et Chuseok sont facilement identifiables sur tout calendrier ou agenda coréen, il est en revanche plus complexe de fixer l’anniversaire du décès. C'est ma belle mère, Shi-eomeonim (시어머님) ou Eomeoni (어머니) en coréen, ou Sook-ja (숙자) de son vrai nom, qui identifie la date de l'événement et nous prévient, parfois à la dernière minute. Le Jesa prend alors le pas sur tout le reste : les emplois du temps sont libérés et les sorties entre collègues, pourtant sacro-saintes, sont annulées.

moon-phase-calendar-2021.jpg

Une journée en cuisine

Un Jesa coûter cher, tant il y a de choses à préparer; la preuve au marché où ma belle-mère a un jour dépensé pas moins de 15 000 wons (11 euros environ) pour acheter une seule poire! Nous y achetons les différents mets qui seront servis lors de la cérémonie en ne sélectionnant que les plus beaux et les plus savoureux : trois sortes de poisson, une pieuvre, des crevettes, des légumes et autres herbes, des gâteaux de riz, ainsi que des fruits : pommes, poires, bananes et fruits de saison. 

De retour en cuisine, nous nous activons à préparer les nombreux plats qui seront servis sur la table de Jesa. Les légumes et herbes sont blanchis puis assaisonnés avec de l’huile de sésame, les fruits sont lavés et les poissons frits. Je m'occupe de confectionner et de faire frire de petites brochettes de champignon, oignon vert, viande et kimchi, avant de faire cuire les autres petites galettes (jeon) de légumes et de poisson que ma belle-mère a préparé. Les plats sont ensuite placés sur de petites coupelles réservées aux cérémonies puis posés sur la table des offrandes. L’emplacement de chaque plat est codifié et ne change jamais d’une cérémonie à l’autre. Cela ne nous empêche pas de devoir systématiquement le vérifier sur Internet!

La cérémonie

Après avoir allumé les bougies, l’encens, ainsi que toutes les pièces de l’appartement – pour inviter les esprits des ancêtres –, nous attendons que la nuit tombe afin de commencer la cérémonie.

A l’exception d'années particulières, nous ne portons pas de hanbok, l’habit traditionnel coréen.

La pièce est silencieuse bien que ce ne soit pas une obligation. Puis mon mari, fils aîné de la famille, vient s’agenouiller devant la table des offrandes, en tenant à deux mains une petite coupe. J’y verse un alcool traditionnel, le cheongju, en tenant moi-aussi la bouteille à deux mains, en signe de politesse. Après avoir fait trois fois le tour du bâton d’encens avec la coupelle remplie, mon mari la pose sur la table, devant la photo de mon beau-père. Nous nous reculons ensuite légèrement pour pouvoir effectuer, avec ma belle-mère et ma belle-sœur, deux prosternations (jeol) suivies d’une salutation.

Traditionnellement, les femmes ne participaient pas aux rites du Jesa et celui-ci ne devait débuter qu'à minuit, mais les temps ont changé. Nous répétons cette opération plusieurs fois au cours de la soirée, entrecoupée de grands moments d’attente, durant lesquelles les esprits “se restaurent”. J’en profite pour écouter Sook-ja me raconter des histoires de famille pendant que mon mari et ma belle-sœur ont les yeux rivés sur leurs smartphones. Elle me raconte comment, une nuit, l’oncle de mon beau-père était venu lui rendre visite dans un rêve pour lui dire qu’il lui fallait un Jesa. Eomeoni était très surprise, car la cérémonie pour le grand-oncle, sans descendance mâle, aurait dû être prise en charge par son beau-frère, aîné de ses neveux. Mais cela n’avait pas été fait. Cette année-là, ma belle-mère s’occupa donc du Jesa du grand-oncle. Les rites une fois accomplis, le grand-oncle ne lui rendit plus visite dans ses rêves. Elle demande tout de même chaque année au temple de célébrer une cérémonie pour le grand-oncle. 

Avant d’effectuer nos dernières prosternations, ma belle-mère pose un bol de riz blanc et des légumes sur la table, signe que le Jesa touche à sa fin. Après un nouveau moment d’attente en silence, ma belle-mère jette un coup d’œil à l’heure et finit par décréter que passé 22h, cela est bien suffisant.

Un dernier rite reste à accomplir : un petit morceau de chaque plat est déposé sur une assiette que nous mettons sur le rebord de la fenêtre, afin que les esprits « amis » des ancêtres puissent, eux aussi, se nourrir. Le Go-shi-rae 고시레 ou Go-su-rae 고수레

고시레.jpg

Nous pouvons ensuite manger les plats. La fatigue de cette journée chargée se fait alors sentir. Un peu avachis sur nos chaises, ma belle-mère nous fait la réflexion suivante en plaisantant à moitié : « Quand je ne serais plus là, pour le Jesa, ne cuisinez que ce que vous aimez, commandez des pizzas, ça ira bien».


Pour aller plus loin

On assiste au rituel royal ancestral du sanctuaire Jongmyo.

Jongmyo Sanctuary

Inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité (UNESCO), cette cérémonie dédiée aux rois et reines de la dynastie Joseon (1392-1910) est une occasion unique de découvrir un rituel confucéen authentique comprenant musique, danse, offrandes et prières. Le sanctuaire royal se visite toute l’année.

L’entrée est de 1,000KRW (soit environ 0,80 EUR par adulte).

Le sanctuaire est ouvert de 09h00 à 18h00 (de février à mai, et de septembre à octobre), de 09h00 à 18h30 (de juin à août inclus), et de 09h00 à 17h30 (de novembre à janvier inclus).

Le sanctuaire est fermee le mardi.

Les tours guidees en anglais sont 10h00, 12h00, 14h00 et 16h00.

S’y rendre: sortie 11 de la station Jongno-3(sam)ga. L’entree du sanctuaire est sur votre gauche.


On visite Andong et ses environs

Andong, surnommée la capitale spirituelle de la Corée, est une petite ville du Gyeongsangbuk-do dans laquelle les traditions ancestrales sont encore bien ancrées. La région comprend un riche folklore et abrite villages traditionnels, temples et écoles confucéennes datant de la dynastie Joseon. Vous pourrez goûter une des spécialités locales: le Heotjesatbap 헛제삿밥, litt. le « faux repas de jesa », un repas traditionnel fait d’un bibimbap, de poissons grillés et de jeon, les galettes coréennes.

Comment y-aller?

Depuis Seoul, vous pouvez prendre le train grande vitesse KTX depuis la gare de Cheongnyangni (2h05 environ, 25,100KRW, soit environ 19 EUR par adulte) ou prendre le bus express depuis Seoul Express Bus Terminal (2h40 environ, 22,000KRW, soit environ 17 EUR par adulte).


*Informations sur les tarifs, les tours et horaires sous réserve de changement par l’organisme de gestion*

Caroline L.

Française mariée a un Coréen, Caroline reside depuis plusieurs années en Corée.

Elle a fait ses etudes en France et en Asie, avant de s’orienter vers une carrière professionnelle vers la péninsule coréenne.

Elle est contributrice régulière car son quotidien et son sens aigu de l’analyse, lui permettent de lever des rideaux sur la Corée derriere le miroir et de décrypter les éléments de culture de la Corée et de ses habitant(e)s.

Précédent
Précédent

Busan, au-delà des clichés

Suivant
Suivant

Trésor Caché : Un séjour healthy à Gangwon