Corée divinatoire, épisode 1

La Corée est une terre de paradoxes, qui la rendent infiniment intéressante et complexe. Laboratoire de modernité, elle est aussi un conservatoire de rites et de traditions syncrétiques, qui mêlent confucianisme, bouddhisme, et un chamanisme bien vivant. Le recours aux arts divinatoires en Corée est toujours très répandu de nos jours pour aborder les étapes-clés de la vie et permet de décrypter nombre de normes sociales. En Corée, vous serez de près ou de loin en contact avec la superstition, des lieux sacrés aux rites quotidiens. Elle y cohabite avec les religions, sur fond d’émergence du christianisme. Pour ce premier épisode dédié aux superstitions en Corée, on balaie les lieux et les pratiques millénaires qui façonnent le rapport des Coréens à leur vie et à leur destinée !

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Le hasard, cet ennemi

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Des lecteurs de visages de Delhi de la série Indian Matchmaking aux mystérieux algorithmes de l’application The Pattern, qui offre à ses utilisateurs principalement occidentaux un autoportrait troublant assis sur les principes du zodiaque, un constat s’impose : toi, moi, le monde, sommes entrés dans une ère où l’ésotérisme n’est plus du tout frivole ou tourné en ridicule.

Mais dans des sociétés plus ancrées dans la tradition que les nôtres, on ne retourne pas vraiment vers la superstition, étant donné que croyances et rites n’ont pas cessé de codifier de nombreux aspects de notre vie quotidienne, bien qu’ils subissent la concurrence de la modernité et de la globalisation.

La société coréenne en est un très bon exemple, qui laisse peu de place au hasard : que ce soit les parents pour leurs enfants ou les adultes pour le pan professionnel ou conjugal, tous veulent placer leur vie sous de bons auspices, et amorcer des changements de vie au moment optimal. Il existe de nombreux rites et micro-rites sociaux observés par les Coréens et qui ont depuis longtemps perdu leur aspect spirituel. Par exemple : mettre ses ongles fraîchement coupés dans un petit papier ou encore ne jamais écrire les prénoms en rouge -un trait commun à toute l’Asie du Nord-est.

Et puis il y a le positionnement des Coréens dans l’univers, et celui-ci n’obéit pas aux règles zodiacales que nous connaissons, et qui prennent en compte le moment biologique précis de la naissance pour déterminer un chemin de vie. Il incombe à des spécialistes de l’art du “saju” de positionner chaque nouveau-né sous les meilleurs auspices. Par conséquent, la date et le prénom des bébés coréens sont rarement “libres”, car ils obéissent aux quatre piliers du saju, -l’année, le mois, le jour et l’heure- au yin et au yang, au calendrier lunaire et à la lignée familiale. Rien que ça ! Il n’est d’ailleurs pas rare que les Coréens choisissent de changer de prénom à l’adolescence, afin de s’aligner avec un nouveau destin.

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N’essayez pas de faire le thème astral des “idols coréens.nes”...

Pour l’anecdote, c’est pour cette raison que l’on vous recommande, si jamais vous êtes fans d’astrologie, de ne pas vous risquer à évaluer la personnalité - et votre compatibilité -si si, on vous voit- avec une célébrité coréenne. Les dates de naissance fournies sur leur profil ont encore aujourd’hui de grandes chances de ne pas être exactes, mais le fruit d’un “recalcul” par rapport à de grands cycles. Ainsi, un verseau pourra très bien être en réalité un capricorne ou un sagittaire, dont la naissance aura été enregistrée plus tard pour faire débuter l’enfant avec le nouvel an lunaire ! Reportez-vous donc à l’astrologie chinoise, voire au groupe sanguin de la personne, une grille d’analyse partagée avec de nombreux autres pays d’Asie.

Ou trouver des professionnels des arts divinatoires en Corée ?

Les mudangs

Même chez les chrétiens évangéliques, qui constituent à présent le groupe religieux majeur du pays, il existe des normes sociales parfaitement acceptées, comme s’en remettre au chamanisme, une croyance animiste millénaire. La majeure partie des prêtresses chamaniques sont des femmes; les coréens prendront donc rendez-vous chez une des 50,000 mudangs qui assurent le lien entre le monde des esprits et celui des vivants. Elles sont très sollicitées pour des services de voyance ou pour pratiquer le kosa, un rite traditionnel de bénédiction où elles entrent en transe. Elles bénéficient aujourd’hui d’une relative protection au titre du patrimoine intangible.

Lorsque l’on a pas de mudang attitrée, en trouver une est parfois un peu délicat.  Il faut se rendre dans les endroits habités par les esprits sacrés, notamment les montagnes, des lieux-ressources forts en symbolique pour les Coréens. Elles exercent aussi dans des sites patrimoniaux en ville et dans des quartiers populaires où subsistent encore des liens traditionnels. Mais le recours aux superstitions est loin de s’arrêter là.

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Voyance + Food = un combo gagnant

Au total, deux-tiers des Coréens visitent un cabinet de voyance chaque année, le plus souvent aux abords de la nouvelle année lunaire. Autrement dit, vous pouvez être un parfait jeune loup de la finance officiant de 9h à 22h dans un grand building de Yeouido et consulter les esprits régulièrement.

Plusieurs types de lectures de l’avenir y cohabitent parfois assez fluidement, puisqu'il n'est pas rare que des professionnels de la voyance, plus ou moins crédibles, soient des “multitaskers” qui pratiquent la lecture des lignes de la main, les tarots, ou encore la lecture des traits du visage. Cette dernière, appelée physiognomonie, est d’ailleurs rendue délicate par la prévalence de la chirurgie esthétique en Corée du sud, qui cible de manière privilégiée le visage et modifie les traits en profondeur.

Un très bon spot pour une consultation entre amis.es émaillée d’une bonne street food : les marchés ! Ceux de Tongin ou de Jungang sont idéaux. Vous trouverez aussi une concentration singulière de lieux divinatoires à l’abri des magnifiques sanctuaires royaux confucéens de Jongmyo et Dongmyo.

Plus facile encore, les cafés de chiromanciens sur lesquels vous tomberez en balade dans le quartier d’Euljiro. La-bas, on mixera une lecture des lignes de la main avec un café frappé et un bon bingsu : à prendre avec une très grosse pincée de sel, tout comme les lecteurs d’avenir qui exercent dans la rue, sous la tente.

Mais si vous y mettez plus d’intention, il vous est possible de consulter de véritables professionnels, rompus à des arts complexes. Ces spécialistes sont des passerelles avec un art qui reste nimbé de mystère !

Le saju

Le saju palja (사주팔자) est un art divinatoire directement basé sur l’astrologie chinoise et le calendrier lunaire, qui veut littéralement dire “quatre piliers, huit caractères”. Contrairement à notre thème astral, il ne repose pas sur un alignement des corps célestes qui nous gouvernent mais sur notre nom, notre genre et notre date de naissance, année, mois, jour et heure. De ces informations découle un profil indicatif de notre personnalité et de nos prédispositions, négatives et positives.

Mais attention ! un saju est très mouvant, chaque jour étant habité d’une énergie différente. C’est pourquoi les Coréens visitent en général un expert en saju à la période précédent la nouvelle année lunaire pour faire le point sur leurs perspectives et sur les grandes décisions à venir.

Première consultation

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Si de grandes questions de vie vous animent, il vous est possible de vous rendre dans un saju café professionnel ou directement chez un expert en lecture de saju lors de votre séjour en Corée. Il faudra par contre impérativement le faire avec un.e locuteur.trice coréen.ne. et être conscient que votre personnalité est analysée à travers des codes culturels qui ne sont pas intégralement les vôtres.

Une fois assis.e à votre table, votre saju sera lu, parfois encore avec un livre, souvent à l’aide d’un logiciel spécial.

Il vous sera exposé, un peu à la manière d’un thème astral, afin de déterminer vos “matériaux” et “éléments” constitutifs : êtes-vous flexible, rigide, avez-vous tendance à accumuler de la colère ou à vous enferrer dans telle ou telle situation…?

Autant de questions qui vont trouver une grille de lecture et éclairer vos résolutions personnelles ou professionnelles grâce à la direction générale observée sur la période de consultation.

Un enseignement fort utile, à condition de se rappeler que le saju n’est, comme aucun art divinatoire, pas une garantie sur l’avenir, mais un outil de connaissance de soi.


Pour aller plus loin

On visite les lieux sacrés 

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Le Samsindong à Hahoe : dans ce petit village hors du temps, l’arbre sacré de la divinité chamanique Samsin est vieux de 600 ans et entouré de vœux en papier laissés par les visiteurs.

Trouvez-le en flânant dans le village où vous prendrez soin de ne pas trop jouer du smartphone.

Comment y-aller?

Depuis Seoul, vous pouvez prendre le train grande vitesse KTX depuis la gare de Cheongnyangni (2h05 environ, 25,100KRW, soit environ 19 EUR par adulte) ou prendre le bus express depuis Seoul Express Bus Terminal (2h40 environ, 22,000KRW, soit environ 17 EUR par adulte).

D’Andong, prenez le bus numéro 46 (gare routière).


En attendant, on se prépare avec quelques bon films pile dans le thème :  

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The Face Reader (2013): Avec le génial Son Kang-ho, est dédié à l’art de la physiognomonie dans la Corée du XVème siècle.

Encore mieux, The Face Reader est le premier film d’une trilogie consacré aux traditions et à la spiritualité coréennes, suivi de The Princess and the Matchmaker et Fengshui.


On approfondit

Rien de mieux qu’apprendre les bases des couleurs traditionnelles coréennes et leurs significations.

Claire Solery

Claire Solery est expert en pop culture coréenne depuis 10 ans. Elle a contribué à de nombreuses publications françaises, notamment Slate, Le Point Pop ou France TV Info. Elle est du matin, mais tout sauf calme.

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