Séoul, une destination mode incontournable ?

Démesurée, vibrante, contrastée, surprenante, innovante, ultra-connectée et en perpétuelle mutation… Séoul est la ville du futur où l’avenir se vit au présent. Toujours en avance sur son temps, la capitale de la Corée du Sud est devenue une véritable source d’inspiration pour l’industrie de la mode. 

Il n’y a pas si longtemps, quand on parlait de capitale de la mode en Asie, Tokyo était sur toutes les lèvres, suivie de Shanghai, Hong Kong et Singapour. Petit à petit, Séoul s’est hissée en tête de la liste.

Conseillère en image et personal-shoppeuse, Gaëlle a travaillé plusieurs années dans le monde de la mode coréenne et en décrypte pour nous les spécificités en deux épisodes.

Pour ce premier article, elle se penche sur les raisons qui font de Séoul l’un des plus grands hubs de la mode au monde.

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La K-Fashion : audacieuse, expérimentale, et désirable

La mode coréenne actuelle, appelée communément K-Fashion, joue sans cesse sur les dualités. C’est le point de rencontre entre l’Asie et l’Occident. Elle mélange les designs traditionnel et contemporain. Elle allie des pièces masculines et féminines. Elle réinterprète les tendances repérées sur les défilés des grandes marques en les adaptant au streetwear. Elle n’hésite pas à associer les couleurs primaires à d’autres plus flashy.

Résultat : un savant mix & match de matières et d’imprimés, des silhouettes ludiques, des coupes déstructurées, des superpositions inattendues, toujours avec une attention particulière accordée aux détails.

Un esprit avant-gardiste amplifié par le prestige des produits made in Korea à tous les niveaux, qui dope la visibilité des créateurs coréens.

Depuis une dizaine d’années, la Corée exporte ses produits culturels partout dans le monde à travers la Hallyu, la vague culturelle coréenne, qui diffuse à grande échelle une image très attractive du pays. À ses mini-séries, sa musique, son cinéma, sa gastronomie et ses cosmétiques s’ajoutent ses créateurs de mode.

Souhaitant profiter de cet engouement pour exporter la K-Fashion, le gouvernement sud-coréen a déployé plusieurs initiatives de mise en valeur ces dernières années, comme Concept Korea, qui aide les créateurs coréens prometteurs à percer à l'étranger, K-Fashion Project, une initiative pensée pour développer et promouvoir la mode coréenne en particulier auprès des acheteurs et de la presse, ou encore Seoul’s 10 Soul, un incubateur qui accompagne chaque année une sélection de dix designers de mode basés à Séoul en vue d’accroître leur visibilité mondiale.

La mode est donc une affaire d’état en Corée du Sud, sans compter que les chaebols - les conglomérats du pays - possèdent de nombreuses marques d’habillement ainsi que les grands magasins coréens que sont Lotte Department Store, Hyundai Department Store, Shinsegae Department Store et Galleria Department Store.

Le “secret” : Un écosystème mode smart qui ne dort jamais

Séoul regroupe toutes les infrastructures et ressources nécessaires pour soutenir une grande industrie textile, véritable pépinière de talents à ciel ouvert. En plus d’une cinquantaine d’universités dont la majorité sont dotées d’un département Textile & Fashion Design qui forment nombre de jeunes créateurs potentiels, la capitale possède son propre quartier textile, Dongdaemun.

Dongdaemun est un des plus grands marchés de vêtements et d’accessoires de mode au monde avec ses centres commerciaux, boutiques spécialisées et fabricants. Longtemps considéré comme la Silicon Valley de la K-Fashion, c’est le lieu incontournable à visiter pour quiconque chercherait à comprendre la frénésie de l’industrie textile sud-coréenne. En effet, le marché de Dongdaemun répond à tous les besoins de l’industrie textile, et ce à la vitesse de l’éclair ! Le regroupement de fabricants et de grossistes dans une si petite zone en plein cœur de la capitale est ce qui permet à un vêtement de passer d’une simple idée dans la tête d’un créateur au portant d’un magasin en quelques jours seulement !

De nombreux tissus fabriqués en Europe se déclinent en trois couleurs, ceux vendus à Dongdaemun présentent dix variations de couleurs en moyenne. Les usines de tissus y acceptent des commandes au détail, ce qui permet aux jeunes designers de tester les tendances. Dongdaemun ne dort jamais et est le seul marché au monde à réunir trois critères qu’il est difficile de voir associés sur d’autres marchés dans le monde : qualité, design et juste prix.

À quelques encablures du marché est érigé le Dongdaemun Design Plaza, en abrégé DDP, telle une soucoupe volante argentée qui trône au milieu de toute cette agitation. Imaginé par l’architecte Zaha Hadid, ce vaste complexe dédié à la culture et au design a été inauguré en mars 2014 à l’occasion de la Fashion Week de Séoul. Ce n’est évidemment pas un hasard puisqu’il était voué à transformer le quartier historique du textile en place vibrante de la mode et en destination phare pour les touristes. Le DDP accueille tous les évènements de l’industrie de la mode entre ses murs dont la Seoul Fashion Week avec ses défilés, ses stars, ses photographes, ses fans, et les salons professionnels.

Un terrain de jeu idéal pour tester les nouvelles tendances à grande échelle

La Corée du Sud est connue pour être la nation du ppali ppali (빨리빨리), ce qui veut dire « vite vite ». Faire les choses rapidement est une caractéristique à part entière de la culture et du mode de vie coréens, des tâches de la vie quotidienne à la croissance économique. Autant vous dire qu’ici tout va... très vite ! Il en va de même des tendances mode qui vont et viennent à un rythme effréné.

La Corée du Sud est un petit pays par sa taille. Néanmoins, Séoul comptait en 2020 près de 10 millions d’habitants intra-muros et plus de 25 millions dans son aire urbaine, qui représente presque les trois quarts de la consommation nationale. Une telle concentration permet une propagation rapide et à grande échelle des nouveautés. On sait très vite si le public adhère (ou non). 

Cet effet de masse est accentué par le fait que dans la société coréenne, comme partout en Asie, le collectif prime sur l’individu. Comme dans toutes les sociétés, le vêtement permet d’afficher son appartenance à un groupe. Mais ici plus qu’ailleurs, l’apparence physique est une vraie obsession, tant pour les femmes que pour les hommes - le pays est le plus gros consommateur au monde de chirurgie esthétique et de produits cosmétiques. Pas étonnant donc que les Coréens soient très sensibles à la mode ! Alors quand un vêtement ou un accessoire s’érige au rang d’”it-pièce”, tout le monde se l’arrache.

Une autre raison qui explique que les tendances se propagent extrêmement vite à Séoul est l’importance du digital qui fait partie intégrante de la vie de ses habitants. Ultra-connectés, les Coréens ont un accès direct et continu aux dernières tendances, partout. Elles sont greffées à leurs mains via leur smartphone. Leur pratique intense du e-commerce favorise la naissance d’une multitude de marques locales vendues en ligne via leur propre site et via les plateformes sud-coréennes visitées quotidiennement par la population, telles que Naver Shopping, Kakao Commerce, Coupang ou Gmarket.

Dans cet écosystème hyper-connecté, les blogueurs et les influenceurs sont omniprésents, et le “celebrity marketing” extrêmement prescripteur. Parmi les influenceurs mode professionnels, on peut citer Irene Kim, Park Sora ou encore Jeon Changha. Cependant, les plus grands influenceurs restent les stars de K-Dramas et de K-Pop. Chacune des quatre membres du groupe Blackpink rassemble sur son compte Instagram entre 36 et 47 millions de followers, quant au rappeur et égérie Chanel G-Dragon, il pointe à 19 millions. Un produit promu par eux, y compris de luxe, est très souvent synonyme de rupture de stock. Dès lors, il n’est pas surprenant que les marques, locales et internationales, utilisent ces artistes comme ambassadeurs.

La vitrine du luxe en Asie

Le culte de l’apparence exacerbé, l’influence du groupe sur l’individu et le principe confucéen de hiérarchie sociale justifient l’amour des Coréens pour le luxe. C’est dans le quartier de Gangnam sur la prestigieuse Cheongdam-dong Luxury Fashion Street que les grandes enseignes internationales ont posé leurs valises, avec des boutiques “évènement”, bijoux d’architecture mettant à l’honneur l’art et la créativité, comme la spectaculaire “House Of Dior”, le flagship Chanel ouvert en 2019 avec sa façade en pierre de lave et en verre, la “Louis Vuitton Maison Seoul” ou la Maison Cartier, toutes les deux inspirées de l’esthétique coréenne traditionnelle. 

Tous ces lieux hybrides designés par des architectes stars font de Cheongdam un paysage très graphique et en perpétuel changement, ainsi qu’un aimant pour les riches consommateurs de la Chine voisine, qui voyagent - en temps normal - fréquemment à Séoul pour y chercher les dernières tendances. La Corée est par conséquent la meilleure porte d’entrée en Asie pour les marques intéressées par le marché chinois. Les grandes maisons l’ont bien compris et ont mis les bouchées doubles ces dernières années pour toucher cette population aisée qui regarde vers le pays du matin frais afin d’y puiser son inspiration vestimentaire. 

Gigantesque, bouillonnante et intelligente, Séoul regorge d’une frénésie consumériste de produits liés à l’apparence, mode et beauté. Pourtant, combien de marques coréennes les consommateurs peuvent-ils nommer ? Maintenant que la K-Fashion s’est taillé une forte renommée internationale, il est temps pour les créateurs sud-coréens de figurer aux côtés des stylistes les plus influents du monde, et de se rendre plus accessibles au public étranger, notamment en proposant une mode plus inclusive.

Envie d’en savoir plus ? La suite dans l’épisode 2 !

Gaëlle Coulombeau

Consultante en image et personal shopper, Gaëlle a vécu plusieurs années à Séoul où elle a travaillé pour des marques de mode coréennes et accompagné les touristes étrangers dans leur shopping séoulite.

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